Alive.
Ils étaient parfaitement alignés, ces petits cachets multicolores issus des nombreuses boîtes éparpillées par terre. Ils formaient un carré et j’allais allaient bientôt me les enfiler.
« Tu veux bien mettre un fond de batterie, dans ce style là Poum Poum Tcha Poum Tcha Poum sur ma compo’ ? »
Ca marchait bien pour le petit Linke, qui passait son temps à enfiler des Big mac, un ordi devant lui et sa guitare chérie à côté. Bassiste de Nevada Tan, c’est ça. Future carrière solo, moi j’dis.
« Tu peux pas comprendre. Elle est vraiment spéciale, cette fille. Vraiment spéciale. Elisa…C’est comme ça qu’elle s’appelle. C’est beau tout comme elle… Ca veut dire « Dieu est promesse »… »
Bordel ce que c’est gnangnan. C’est ça, continue à avoir cette tête d’abruti quand tu parles d’elle. J’ai compris que t’étais amoureux, vieux, pas besoin de me le rabâcher tout le temps. Y a pas que toi dans la vie. Ouvre les yeux un peu.
« JURIIIIIIIIIIIIII, tu vas pas le croire !!! J’ai fais une SUPER affaire !! Des platines des années 80 en parfait état ! C’est inespérable !! A ce prix là en plus !! Faut que je les essaye tu me dis comment ça sonne, hein ??? »
Je peux pas en placer une ?? Elle est partie, bordel ! Et vous tout ce qui vous occupe c’est vos problèmes à la con !! P’tin ! Et puis j’y connais quoi moi ?
« Alors, tu vois »
Nan, je vois pas, mon coco.
« Là, elle a fait un truc d’enfer. J’avais jamais testé mais franchement, mon pote, ça vaut le coup. Putin, le faire, ça m’a jamais fait autant d’effets. Tu sais… »
Ta gueule ! Ta gueule, Franky ! Je vais gerber. Tu me parles de tes histoires de cul alors qu’elle s’est barrée ! Elle est partie pour toujours.
« J’ai pas le temps. On en parle une autre fois, mec. »
Pauvre con. Sauf que moi, l’autre fois Timo, je serais plus là. Je l’aurais rejoint.
Cinq petits gosses imbus d’eux-mêmes voilà, qui ils étaient. Idolâtre-les, jeune ado naïf.
Mais moi non, c’est fini. On était censé être un groupe, un bon. On devait se soutenir pour éviter qu’on tombe, et de haut. Sauf que c’était, moi, le pauvre petit naïf de service qui les écoutait, les conseillait. Et ça marchait et bien.
Putin, elle était partie mais je suis sûr que si j’avais été là, j’aurais pu la retenir. Mais y a eu cette foutue émission à la con qui servait à rien. De la promo, un truc de manager et le « m’a tu vu ? » continuel que je déteste.
Et maintenant, elle était morte. Ma Sarah. C’était comme si on m’avait arraché de force ma batterie. Mon cœur est ravagé par mes sanglots saccadés, déchiqueté d’avoir été séparé d’elle. La seule raison de continuer à se défouler sur cette batterie n’existait pas. Sarah. Je frappais mes baguettes de toutes mes forces contre les peaux pour, elle, pour qu’elle soit fière. Sarah, elle avait sacrifié notre couple pour ma carrière.
«Juri, Juri, Juriii… »
Je l’entendais encore dans ma tête, susurrant mon nom dans mon oreille. Mon nom matraqué par une souffrance à chaque fois plus forte.
Un, deux, trois, quatre, cinq… cachets.
Une sonnerie lointaine. Un geste lent, mécanique.
« Juri ? Allo ? T’es là ? Jurrrrriii ?? Répond !! C’est Claire. Répond !!
-Sarah, Sarah … »
Les seuls mots que j’arrivais encore à prononcer. J’allais la rejoindre bientôt. J’allais retrouvé mon cœur, entier.
« Sarah… »
Un blanc. Le téléphone tombe. Je sombre.
« Juri… J’arrive!! Bip. Bip. Bip…”
Le rythme est régulier. Insoutenable. J’immerge doucement. C’est ça le paradis ? Du blanc, une tonne de blanc comme sur un glacier et ce bip à crever les tympans.
« Juri, mon dieu ! Merci ! Tu es en vie !
-Cl… Claire ? »
Raté. J'étais en vie. Je t'avais perdue, Sarah. A jamais dans mon coeur.
Alive.