suite
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Il savait au fond, qu’un jour où l’autre il les retrouverait. Ou eux.
Il avait pleins de doutes, pleins de problèmes devant lui et peu de solutions.
Il en a toujours autant. Voire plus.
Mais là, tout de suite, au milieu de ses frères désemparés, il sait pourquoi il est revenu.
Il ne peut pas l’exprimer mais cette conviction est ancrée en lui.
Et peut-être bien que l’accident de Michi, en fin de compte, n’est que pour lui, le signal d’entrer à nouveau en scène… _ Non Juri…
Tu n’es pas un bon à rien.
Personne d’autre que toi et ta colère n’auraient pu me faire revenir.
Cette force… C’est notre moteur à tous…
Et le mieux, chez toi, c’est qu’elle est à l’état brut.
Il tourne vers ses compagnons un regard rempli de bienveillance et de chaleur.
_ … Si vous le permettez…
J’aimerais donner une direction à cette force vive dont vous ne savez plus quoi faire.
Je veux rallumer la chandelle qui se meure…
Linke ne peut pas s’en empêcher…
_ Toi… ? Mais à quoi tu joues, là… ? Au sauveur ?!
Me fais pas rire ! T’as toujours été le premier à te tirer au moindre pépin, à te plaindre
quand ça allait pas et à refiler le boulot aux autres !!!
AH ! On y a goûté à ta dépression !!! Ca t’a fait un beau passe-droit !
Et c’est QUI qui se coltinait le boulot ?!!
Toi tu nous servais le rôle tragique de l’artiste incompris dépressif, ET NOUS
ALORS ?!!
EST-CE QUE TU TE RENDS SEULEMENT COMPTE, DE TOUT CE QUE TU
NOUS A FAIT SUBIR ??!!!!
C’est partit tout seul.
La mâchoire inférieure explose dans une gerbe de sang, éclaboussant les mains du bassiste, sa poitrine, se répandant en un flot continu sur le torse de David.
Linke est dressé debout, poing serré, furibond.
David est à moitié assis par terre, les jambes demi-pliées, soutenu par le bras de Timo, qui se trouvait derrière lui.
_ DAVIID !!
Franky et Jan se sont élancés en même temps que Linke ; ne l’ont pas arrêté quand bien même
ils l’auraient voulu. Ce coup de poing, tout le monde voulait le donner. Toute la rage, toute la frustration, toute la peine, la rancœur de son départ, et tant d’autres choses encore…
Et pourtant…Ils ne peuvent pas prendre le relais, continuer à le tabasser comme ils s’étaient promis….
Ils rampent, malgré eux, à genoux pour s’enquérir de l’état du guitariste.
Peu importe leur ressentiment. Il est leur
ami.
Avant tout.Linke est tombé à genoux, secoué par sa colère, mais ses yeux sont pleins du désarroi de ce qu’il a fait… Il s’approche, mains tendues…
Ces mains qui sont couvertes de sang…
_ … David…
Il ne peut pas lui en vouloir… Linke essaye de toutes ses forces, mais c’est au-dessus de son amitié.
Alors il se traîne horrifié, vers ce visage mille fois maudit qui lui sourit, vers ce regard qui lui tend la main, vers ces bras qui s’approchent.
Un enfant perdu…
_ … Je m’y attendais… -articule douloureusement David.
Je savais qu’elle allait venir…
Mais, honnêtement, je ne pensais pas que c’est de toi que je la recevrais, ma raclée… -sourit-il en serrant profondément Linke contre son cœur, taché de sang.
Une grande main s’approche soudain pour agripper la tête de David, et son propriétaire la serre contre son cœur, insensible aux élancements de douleurs que sa poigne provoque chez le guitariste. Un liquide chaud et salé se déverse de nouveau sur le visage de David, sur les mains du batteur…
Juri a rejoint, enfin, ses cinq compères au sol, et serre à son tour son ami contre lui.
_ …’Spèce d’idiot… Me refais jamais un coup pareil…
Ou je te tues…Les larmes du batteur coulent sur ses joues, sur celles de David, s’ajoutent au sang qui dégoutte un peu partout et tache tout le monde. Le guitariste dégage un bras pour étreindre à son tour le jeune homme, baisant ses cheveux, baisant chacun des fronts présents, à tour de rôle en souriant doucement…
_ … Promis… C’est promis…
Saki, dans son coin a sortit un mouchoir et s’en sert bruyamment. Vu que David est emprisonné dans un rempart de corps, c’est la seule chose qu’il peut faire. Ca et pleurer.
Lentement, le bloc devant lui s’effrite.
Toutes ces émotions violentes, plus la fatigue… Ils sont éreintés.
Timo dort presque par terre et Juri ne tient plus sur ses jambes.
David non plus, et il retombe dans les bras de son garde du corps, qui s’est avancé juste à temps. Il tremble suffisamment, est couvert de sang et transpire de plus en plus.
_ Franky… Appelles un taxi pour dix personnes…
Personne n’est en état de marcher, et il faut qu’on retourne à l’hôpital… -ordonne
doucement l’homme de main.
Le chanteur acquiesce doucement, en s’emparant du téléphone.
( Promesse )
[ Dimanche, 13 heures, étage n°4 de l’hôpital St Georges d’Hambourg, service des réparations faciales… ]
« Eh ben… Si je m’étais attendu à vous revoir tous aussi vite…
C’est une manie chez vous, les accidents ? –demande l’un des chirurgiens qui a opéré
Michi au petit matin même.
Pour toute réponse, Linke grimace.
Désormais, ils sont deux avec Timo, à avoir la main fracturée.
Si Jan n’a eu qu’un bel hématome violet qui lui couvre la moitié gauche du menton jusqu’à l’oreille ; la lèvre et deux dents de David ont sauté proprement sous le coup du bassiste.
_ … Dites…
Le guitariste est de retour dans le couloir, une bande de gaze sur la mâchoire. Le tout dissimule mal un renflement prononcé et une teinte violacée.
_ … Il est… Dans quelle chambre… ?
Ses compagnons le dévisagent sans mot dire. Jan a un regard furieux.
Lentement, Juri déplie sa silhouette et s’arrache à son fauteuil.
_ … Viens… » -dit-il en prenant leurs manteaux.
Le couloir qui mène à l’aile des Soins Intensifs s’étire sous les pas silencieux des sept amis.
La zone est isolée, aussi bien sanitairement que géographiquement.
Le calme et la paix qui règnent au milieu des odeurs aseptisées dérangent…
Apaisent… David a l’impression d’être dans une bulle.
On leur a retiré leurs vêtements, on les a lavés, habillés de masques et autres chasubles très légères en coton noir.
Noir… et blanc… Les deux couleurs de la mort…
Les deux couleurs de la vie… Il frissonne un peu.
De froid… De fatigue… De chagrin…
La douleur de sa mâchoire est sourde, contenue par les tranquillisants.
Il va au devant de la mort, et il se sent serein.
« … Voilà… Chambre 4628…
_ … On peut entrer, c’est sûr ?
_ Le sas est à votre gauche… Vous y allez en groupe ?
_ Je préfèrerais… -décide doucement David en regardant les autres.
_ Bien… Vous avez 5 minutes… -leur rappelle le médecin, avant d’enclencher la
procédure de décontamination.
Le sas s’ouvre sur la chambre, avec un chuintement discret, plastique.
Partout, des appareils, des cadrans lumineux avec des indications vertes, rouges, bleues…
Reliés entre eux par tout un tas de fils multicolore et de tubes transparents.
La pièce est grande, l’espace minuscule.
Ils se coulent en cercle autour du lit.
Sous les draps blancs, quelques cheveux, retenus par un bandeau, dépassent.
Le visage est tuméfié, oscillant entre le menton de David et celui de Timo pour la teinte, avec une nuance plus profonde, au niveau des pommettes, des lèvres et du front.
Les yeux sont clos, cernés… La face et les traits tirés…
_ … J’avais… Pas réalisé…
A quel point, il était fatigué, ces derniers temps… -
murmure le guitariste en tendant les doigts vers la main perfusée posée sur le drap.
Les doigts roses pâles du jeune homme viennent se glisser sous ceux, attelés, blancs-bleus du producteur
. Tremblants. _ … Et on fait quoi, maintenant… ? –demande Jan
Les doigts longs et fins se resserrent sur la main immobile.
_ … On va faire comme lui… On va dormir.
Dès qu’on sera rentrés.
_ … Et ?
David les regarde droit dans les yeux.
_ Je te l’ai dit Jan. On va ranimer la flamme… On va allumer un brasier.
La voix est basse, un murmure.
Mais elle vibre plus fort dans ce silence, que n’importe quoi d’autre.
Juri l’a senti. Un truc impalpable.
Maintenant, il sait ce qu’il doit faire.
Croire en David.
_ On immole qui, sur le bûcher… ?
David a un instant de pause. Puis :
_ … LiveNation. »